Libé, ration de titraille !

Le style du journal Libération est célèbre pour ses trouvailles de titrailles, aux jeux de mots souvent polysémiques, fantaisistes, réjouissants, qu’ils soient colorés d’humour noir ou d’émotion.

« Agaçant est l’adjectif le plus souvent employé pour qualifier les titres de Libération. On pourrait dire aussi : marrant, désinvolte, cruel, bigarré, délirant, pertinent ou impertinent. »

Hervé Marchon, journaliste web et ancien de Libé, en a extrait les plus brillantes pépites dans Libé, les meilleurs titres, et en profite pour retracer la longue histoire du journal, son esprit d’équipe, l’inventivité de ce style si particulier — jusqu’à l’absence de titre quand l’actualité se passe de mots.

« Au commencement,
Libération n’était pas drôle. En feuilletant les numéros des premières
années, on lit des titres raides comme des hampes de drapeau rouge
(…) ». « Liberté et insolence, un style
s’affermit au fil des années. » 

Et après des tentatives de retour au
sérieux, le naturel rebelle revient de plus belle : « L’art de la titraille a encore de beaux jours devant lui à Libération. »
Contrairement à la légende, il n’y a pas de titreur spécialisé qui
chercherait à longueur de journée « une formule digne de la légende du
journal », c’est un exercice quotidien de toute l’équipe, comme le
précise dans l’avant-propos Laurent Joffrin, actuel directeur de la
rédaction qui évoque également quelques souvenirs marquants de recherche de titres.
Hervé Marchon témoigne de ce « boulot colossal, mais invisible, en bout de chaîne de
fabrication du journal. Entre la rédaction et l’imprimerie, le service
édition encaisse le stress. Bien loin de l’image cool que peuvent s’en
faire les lecteurs qui s’amusent le matin à la lecture des titres
chamarrés du journal. Pourtant, le mythe n’est parfois pas loin de la
réalité.
« 
Et oui, l’humour et la fluidité des phrases résulte
souvent d’un travail acharné et surtout collectif. « Sans
collectif, pas d’énonciation, pas de lapsus, disent les psychanalystes.
Et sans collectif, pas de titre.
« 

La préfarce signée Stéphane De Groodt s’intitule Titres de noblesse et rivalise de pirouettes et jongleries éblouissantes :

« Ici on se joue des maux pour mettre en joue les mots, avec en-tête d’accrocher le lecteur sur quelques destins animés ou desseins abîmés ».

Quant à la transition numérique, les moteurs de recherches et les règles
du référencement manquent totalement de subtilité et d’humour. La
titraille répond à d’autres codes et doit rester dans les rails :
informative. Du coup, le style Libé fait la valeur ajoutée de la version papier.

« Raconter
le monde en trois mots : l’art est difficile. C’est cette difficulté
qui fait un style. Et sans style, point de journal. »

Éditions de La Martinière, 2016, 224 pages.

PS : La bibliographie sur Libé abonde, et j’ai le souvenir tout aussi facétieux d’un autre condensé d’une mystérieuse Nicole S., plein d’humour, aujourd’hui épuisé, concernant ses petites annonces, joliment intitulé Allo Libé, bobo…